Inde : Les principes anarchistes appliquées par les paysans mènent à leur victoire contre un gouvernement mondialiste fasciste

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Dans le rapport qui suit, Pranav Jeevan explore le conflit entre les paysans et le gouvernement d’extrême-droite du premier ministre indien Narendra Modi, le caractère même de ce mouvement que les paysans ont initiés et les moyens par lesquels ils ont triomphé.

Traduit de l’anglais par Résistance 71.


“Les peuples ne devraient pas avoir peur de leurs gouvernements. Les gouvernements devraient avoir peur de leurs peuples.” – Alan Moore, V for Vendetta

Les paysans en Inde ont gagné une victoire historique contre les efforts de l’état à privatiser le secteur agricole à des fins d’exploitations par les entreprises privées. La parti autoritaire d’extrême droite du gouvernement le Bharatiya Janata Party (BJP) du premier ministre Narendra Modi a du finalement courber l’échine devant les protestations des paysans, acceptant la demande de rejet de trois lois anti-paysans. Le succès de la lutte paysanne d’un an montre que des protestations horizontales, auto-organisées et décentralisées sont capables d’impliquer des centaines de milliers de personnes, qu’elles peuvent persister au travers de lourds obstacles pour finir par gagner devant des régimes autoritaires très déterminés.

Ni la propagande médiatique, ni la répression d’état, ni les attaques par des gangs pro-gouvernements, ne réussirent à supprimer la résistance paysanne. Les manifestations sont devenues un des plus grands mouvements de masse anti-corporation et anti-gouvernement au monde, identifiant le nexus corporation-gouvernement comme ennemis de la liberté, du bien-être et de l’auto-détermination du reste de la population de l’Inde. Même lorsque l’opposition parlementaire au régime régnant est faible, le judiciaire demeure silencieux sur les injustices dont sont victimes les gens et la bureaucratie sert les oppresseurs et pave le chemin pour toujours plus d’exploitation ; ainsi, les mouvements de masse peuvent toujours trouver une voie pour battre ces systèmes d’oppression.

Les paysans furent capables d’entretenir ces manifestations massives mois après mois face à tant de dureté pour deux raisons principales : l’auto-organisation et la décentralisation. Il n’y avait pas de leaders au commandement de chaque manifestation ; des réunions impliquant tous les groupes paysans prirent toutes les décisions ensemble. La participation des femmes et des paysans sans terre, des ouvriers agricoles s’est ajouté à la cause, se préoccupant de leurs problèmes et préoccupations et créant un front unifié allant bien au delà des lignes de fractures habituelles de la société indienne.

Ceci déclencha des discussions au sujet de la discrimination de caste et de genre prévalante dans la société indienne et sur d’autres législations anti-sociales comme l’annulation de l’Article 370 (retirant le statut d’état au Cachemire et au Jammu), la démonétisation, le Citizenship Amendment Act (CAA), the New Education Policy (NEP), l’Environmental Impact Assessment (EIA), la privatisation rampante des terres, les augmentations de prix du carburant et des biens de nécessité première, le chômage, et la crise économique. La lutte contre la loi sur les fermes est devenue très rapidement une lutte contre toutes les formes d’oppression auxquelles les gens doivent faire face aujourd’hui en Inde alors que les manifestants gagnaient pas à pas conscience de des problèmes politiques et sociaux qui minent le pays. Ceci mena à plus d’attention et de déchaînement contre les violences policières, la propagande médiatique et la négligence judiciaire. Les manifestants tinrent les politiciens et les bureaucrates pour responsables de leurs actions.

Ceci fut particulièrement visible lors de la réponse à l’incident de Lakhimpur Kheri, où le fils d’un ministre du parti BJP fonça sur les fermiers avec un SUV ; les paysans forcèrent le gouvernement BJP de remplir un rapport de première information et d’arrêter le coupable, ce malgré la claire intention du gouvernement de ne rien faire. Les paysans firent aussi des sit-ins en protestation de la violence policière ciblant les activistes du syndicat Dalit, Nodeep Kaur et Shiv Kumar. Ils forcèrent le retrait d’un officier de l’IAS qui ordonna la charge de Lhati contre les paysans de Karnal. Ils protestèrent contre l’assassinat d’un homme du Dalit, Lakhbir Singh, par un groupe de Hihang Sikhs qui affirmaient qu’il avait insulté le livre sacré des Sikhs, un cas très clair du comment les gens du Dalit sont toujours considérés comme intouchables en Inde.

Les méthodes utilisés par les manifestants furent à la fois sans précédent et révolutionnaires. Les paysans commencèrent par marcher sur Delhi la capitale, où ils occupèrent la zone entourant la ville, se positionnant sur les grandes routes d’accès. Des manifestations de Rail Roko ou arrêt des trains eurent lieu dans lesquelles les paysans arrêtaient les trains et s’adressaient directement aux occupants pour leur signifier l’importance extrême de leur lutte et de leurs manifestations.

Les manifestants rencontrèrent une extrême violence étatique, à la fois la police et l’armée tentèrent de les briser. La police employa des gaz lacrymogènes, des canons à eau, fit des trous dans les routes et utilisa de multiples barricades pour bloquer la progression des manifestants. Plus de 700 paysans périrent dans ces manifestations. Le gouvernement essaya de démanteler les manifestations et leur organisation et coupant l’eau, l’électricité et les services internet dans les zones occupées par les manifestants. En réponse à cela, les paysans amenèrent tout ce dont ils avaient besoin de leurs villages afin de survivre sur les sites de manifestation. Ils organisèrent également d’énormes “langars”, fournissant ainsi de la nourriture aux manifestants.

NdT : Le “langar” vient de la culture et tradition sikh qui prévoit le partage de tout dans les moments difficiles, la nourriture certes, mais aussi, vêtements, logement, médicaments, livres, divers services etc… Le “langar” est initialement la “cuisine commune”, mais par extension, la mise en commun de tout pour le bien commun où tout le monde s’y met pour fournir son effort à l’effort général selon le slogan “d’à chacun selon sa capacité. à chacun selon son besoin”…

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Petit à petit, ces formes d’auto-organisation ont permis l’établissement d’autres choses utilitaires comme les tentes, les points de recharge électrique solaire, la lessive, la librairie, des centres médicaux et de chirurgie dentaire. Dans le même temps, les paysans prirent une attention particulière à ne pas laisser les partis politiques d’opposition infiltrer leurs manifestations. Ils refusèrent d’endorser quelque leader politique que ce soit et n’offrirent aucune plateforme politique à aucun politicien (NdT: ce que firent aussi les Gilets Jaunes…). La vaste majorité des manifestants ont perdu toute confiance dans les partis politiques établis, sachant très bien qu’ils se détourneront de toute promesse une fois que la renverse de marée politique se met en place. Ils questionnent la sincérité de ces politiciens qui affirment es soutenir contre ces lois scélérates anti-paysans, considérant à juste titre que bon nombre de ces politiciens ont soutenu d’autres lois oppressives et autoritaires comme celle de l’Abrogation de l’Article 370.

Les paysans ont continué de bloquer les autoroutes vers Delhi au travers d’un hiver rude, au travers des très chauds mois d’été et même au travers des vagues mortelles de la pandémie. Ils appelèrent à la grève à travers le pays. Ils n’abandonnèrent jamais, tant bien même que des douzaines d’entre eux mouraient de froid, de chaleur et du COVID.

Les paysans savent très bien que pratiquement toute la politique du gouvernement est dictée par de massifs monopoles entrepreneuriaux qui financent les partis alternant au pouvoir et surtout le parti aujourd’hui en place. Ils ciblèrent les politiciens et les bureaucrates, mais aussi les empires entrepreneuriaux des deux top milliardaires indiens Mukesh Ambani et Gautam Adani. Ils étaient parfaitement éveillés au fait de la menace que représentaient ces deux empires pour leur mode de vie, refusant d’accepter les assurances des “experts” et des “économistes” qui décrivaient les lois comme étant une politique de libre échange qui par principe “aideraient les paysans”. Ils savaient pertinemment que tous ces “experts” et “économistes” n’étaient jamais sortis de leurs bureaux climatisés financés par le gros business afin d’apprendre sur le terrain au sujet des nuances de l’économie agricole indienne.

Ils savent très bien que si tous les top économistes de la Banque Mondiale et du FMI sont d’accord sur le fait que l’Inde a soi-disant besoin de nouvelles lois sur les fermes, les terres et l’agriculture, alors tout ceci est définitivement une très mauvaise nouvelle pour eux. Comme Ambani et Adani étaient les premiers bénéficiaires de ces lois agricoles que le gouvernement du BJP avait mises en place, les paysans du Punjab et de Haryana cessèrent d’utiliser les cartes JIO SIMS propriété de Ambani et passèrent sur des réseaux de télécom rivaux. Un certain nombre de tours antennes de JIO Telecom et autres infrastructures furent endommagées au Punjab. Des paysans commencèrent à boycotter les produits possédés par Reliance ainsi que ses services comme ses pompes à essence.

A un moment donné, la cour suprême d’Inde est intervenue pour mettre fin au face à face entre les paysans et le gouvernement. Les paysans étaient fermes dans leurs demandes et défièrent la cour de justice ouvertement, assurant qu’ils n’abandonneraient pas la lutte même si la cour le leur ordonnait, parce que cela n’était ni plus ni moins qu’une affaire de vie ou de mort pour eux. Les paysans avaient aussi perdu toute foi en le système judiciaire, dans la mesure où de récentes décisions de la cour suprême avaient largement accommodées le gouvernement. La cour fut obligée de céder, ordonnant un report de 18 mois pour l’application des lois.

Pratiquement tous les médias avaient soutenu la politique du gouvernement et diffusés des narratifs pro-gouvernement, répandant de fausses informations sur le mouvement paysan, les appelant “Khalistanis” et “terroristes”, les diabolisant, infantilisant leurs manifestations et les appelant des “ignorants”. Les médias de masse supprimèrent toute nouvelle concernant l’ampleur du mouvement. Ceci ne fit rien pour étouffer le mouvement. Les participants allaient directement de village en village, organisant des réunions dans chaque état, organisant et réunissant des centaines de milliers de participants. Durant ces réunions, ils y discutaient de ces lois et comment cela allait négativement impacter leurs vies, les plaçant à la merci des grosses entreprises. Ceux qui assistaient à ces réunions recevaient pour mission de parler autour d’eux dans leurs villages et leurs familles de ce qu’ils avaient vu et entendu. Ces chaînes de communication depuis la base, d’adressant directement aux gens concernés, furent bien plus forte que toute la propagande mise en place par le gouvernement indien et ce même avec tout le réseau de merdia corporatiste à la botte.

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Lorsque les paysans se tournèrent vers Facebook et Instagram pour diffuser leur information, Facebook et sa succursale commencèrent à fermer les pages des paysans ainsi que les pages critiquant le gouvernement. Twitter retira plus de 500 comptes que des paysans utilisaient pour discuter ensemble des lois. Facebook retira la page de Kisan Ekta Morcha, une source d’information du mouvement lui-même, suite à un énorme tollé public, ils furent astreints de reposter la page.

Lorsque Rihanna tweeta son soutien au mouvement paysan indien, aidant à la contribution d’un mouvement international de solidarité et une harangue contre le gouvernement indien, l’état essaya d’entrer en contrôle des dégâts en faisant répondre ses propres célébrités médiatiques qui clamèrent à une “conspiration internationale” de diffamation de l’Inde.

Dans chaque état où devait se produire une élection, comme au Bengal, que le BJP veut gagner depuis des années, des paysans envoyèrent leurs délégués parler directement aux gens afin d’expliquer la nature même des lois anti-paysans et leur demander de ne pas voter pour le BJP. Ceci mena à de gigantesques défaites électorales pour le parti dans bien des états. Les futures élections du Uttar Praresh (UP), qui décideront du gouvernement du BJP sur l’Inde, sont arrivées à un moment où les paysans intisifièrent leurs manifestations. De gigantesques manifs sont prévues partout en Inde pour l’anniversaire de ce mouvement de protestation qui vit le jour le 26 novembre 2020. Le BJP craint un gros retour de bâton durant ces élections, à la fois en provenance des paysans mais aussi à cause de leur gigantesque échec dans le contrôle de la seconde vague de la pandémie COVID-19, qui fut un désastre notamment à cause d’une pénurie d’oxygène dans les hôpitaux entre autres raisons.

En réponse à cela, ils prirent des mesures immédiates pour museler les paysans avant les élections. Le gouvernement n’avait pas d’autre alternative que de plier aux demandes des paysans. Ceux-ci ont reconnu que la déclaration du premier ministre Modi n’avait aucune valeur et qu’il voulait voir les lois abrogées dans la prochaine session du parlement et que les manifestations continueraient jusqu’alors. Ils veulent aussi que le gouvernement assure un prix de soutien minimum pour les productions agricoles. Ce gouvernement, qui a été si indifférent aux demandes du peuple, qui a continuellement attaqué la dissidence avec brutalité, violence et force propagande, qui était ultra déterminé à poursuivre les privatisations forcées quel qu’en soit le coût pour le peuple, a été vaincu et forcé de changer son fusil d’épaule.

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Les principes de l’anarchisme, y compris la prise de décision horizontale et participatrice, le décentralisation du pouvoir, la solidarité, l’entraide et l’association volontaire, sont tous bien visibles dans ce mouvement de protestation paysan. Les anarchistes emploient l’action directe, la perturbation hiérarchique, la protestation contre l’injustice, l’auto-organisation de leurs vies en créant des contre-institutions comme les communes ou les collectifs non-hiérarchiques. Les anarchistes recherchent la création d’une relation anti-autoritaire dans un agencement collectif de façon à ce que tout le monde ait son mot à dire dans chaque décision qui va affecter la vie de tous, recherchant toujours un consensus sans avoir recours à un leader, chef ou cadre. Les anarchistes organisent le récupération des espaces publics où l’art, la poésie, la musique se mélangent pour représenter l’idéal anarchiste. Le squatt est une des façons de se réapproprier cet espace public du marché capitaliste d’un état autoritaire ; il sert aussi d’exemple à l’action directe.

Nous pouvons trouver des éléments de tous ces principes et pratiques dans les manifestations paysannes et là est la raison de leur robustesse et de leur succès. Cette victoire met à bas le mythe qui veut que ne devons avoir une chaîne de commandement centralisée avec des leaders en son sommet et des suiveurs dociles et aveugles en bas pour qu’une organisation de grande envergure puisse réussir. Toutes ces manifestations et actions se sont faites dans le temps, sans aucun leader : les participants eux-même atteignaient un consensus décisionnel sur le cours de l’action à suivre. Lorsque les gens prennent les décisions eux-mêmes et se coordonnent les uns les autres en petites communautés, s’aidant les uns les autres, ceci crée les plus fortes formes de pouvoir collectif et de solidarité.

Le fait que ces manifestations à terme réussirent, grâce à tant de gens s’unifiant et s’organisant collectivement, coopérant entre eux pendant si longtemps, nous montre que nous pouvons parfaitement créer des communautés sans institutions exogènes (imposées de l’extérieur), que nous n’avons pas besoin de bureaucratie autocrate et de gouvernement autoritaire, qui concentrent le pouvoir et oppriment les gens. Pour l’essentiel, ces manifestations furent menées et gérées par de pauvres paysans, des femmes sans éducation formelle, et des gens d’autres communautés marginalisées. Ensemble, ils ont démontré qu’ils pouvaient créer des communautés bien plus éthiques et égalitaires que celles qui existent chez les gens plus riches et éduqués. Ils ont montré que les opprimés et les indigents peuvent s’organiser en communautés d’entraide et de prise de décision directe, éliminant le supposé besoin de systèmes de gouvernance hiérarchisés et coercitifs, qui en fait n’existent que pour les exploiter.

Le succès de ce mouvement de contestation des paysans offre un modèle duquel tout le monde peut apprendre quelque chose, que tous nous pouvons mettre en place dans nos luttes contre les régimes oppresseurs qui nous exploitent. Le monde est le témoin d’une nouvelle ère de protestation et d’activisme. Les manifestations des paysans indiens devraient devenir le phare de la démocratie montrant comment il est possible de vaincre les régimes autoritaires.