Et après le virus ? Les périls à venir

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Résistance en ces temps d’épidémie

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Comment notre société sortira-t-elle de la crise liée au COVID-19 ? Est-ce que la pandémie révèle le fait que nous avons besoin d’un pouvoir étatique plus centralisé, d’une surveillance et d’un contrôle accrus ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur nous – et comment nous pouvons nous préparer à les affronter ?


Il y a quelques jours, le nombre de décès dus au coronavirus à New York a dépassé le nombre de victimes suite aux attaques du 11 septembre 2001. Chaque fois que des expert·e·s et des politicien·ne·s invoquent le 11 septembre, tu sais qu’ils et elles essaient de préparer le terrain pour créer un choc et diffuser une certaine crainte au sein de l’opinion publique.

Les attentats du 11 septembre ont servi à justifier le Patriot Act, les extraditions de personnes suspectées de terrorisme et la torture, ainsi que l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak ; ceux-ci ont ouvert la voie à un grand nombre d’autres catastrophes, dont la montée de l’État islamique. Alors que 2 977 civils ont été tués le 11 septembre, la « guerre contre le terrorisme » qui a suivi les attaques a tué au moins cent fois plus de civils.

Si la comparaison avec le 11 septembre montre quelque chose, c’est que la réponse de l’État à la pandémie sera bien plus destructrice que le virus lui-même. Passons en revue les dangers et la logique de celles et ceux qui cherchent à contrôler la réponse de l’État afin de se préparer à la prochaine étape de la crise avant qu’elle ne nous frappe de plein fouet. Il n’est pas inévitable que ce qui résultera de cette crise prenne la forme d’une tyrannie ; ou au contraire, celle d’un soulèvement.

Comme nous l’avons affirmé il y a longtemps de cela, au siècle dernier, il y a une différence entre la vie et la survie. Face à la pandémie et aux prises de pouvoir totalitaires qui l’accompagnent, préoccupons-nous non seulement de savoir comment nous allons survivre à cette crise, mais aussi comment nous voulons vivre.

Tout comme les attaques du 11 septembre ont entraîné des décisions politiques qui ont tué des centaines de milliers de personnes qui n’avaient rien à voir avec les attaques, les États opportunistes répondent à la pandémie en tentant de lancer une nouvelle ère de tyrannie.


« Les règlementations liées à la peste jettent également une grande ombre sur l’histoire politique. Elles ont marqué une vaste extension du pouvoir étatique dans des sphères de la vie humaine qui n’avaient jamais été soumises à l’autorité politique auparavant… Elles ont justifié le contrôle de l’économie et de la circulation des personnes, elles ont autorisé la surveillance et la détention forcée, et elles ont approuvé l’invasion des foyers et la disparition des libertés civiles. Avec l’argument irréfutable de l’urgence sanitaire, cette extension du pouvoir a été accueillie par l’église et par de puissantes voix politiques et médicales. La campagne contre la peste a marqué un moment important dans l’émergence de l’absolutisme et, plus généralement, elle a favorisé l’accroissement du pouvoir et la légitimation de l’État moderne. »

-Epidemics and Society from the Black Death to the Present, Frank M. Snowden


Le pire des scénarios

En raison de la mondialisation néolibérale et de l’automatisation, une proportion croissante de la population mondiale est tout simplement devenue non-essentielle à la production et à la distribution industrielle. En conséquence, les travailleur·euse·s ont inondé le secteur des services, travaillant de plus en plus longtemps pour pouvoir survivre. Plutôt que de renégocier les traités de paix entre capitalistes et travailleur·euse·s qui ont soutenu le capitalisme tout au long du XXe siècle,1 les gouvernements en sont venus à compter sur un maintien de l’ordre toujours plus répressif, dépendant des innovations technologiques pour garder sous contrôle des populations agitées. Néanmoins – ou plutôt pour cette raison précise – les troubles avaient atteint leur paroxysme en 2019 avec des soulèvements à Hong Kong, au Chili, en Catalogne, au Liban, au Soudan, en Haïti et dans des dizaines d’autres pays, et d’autres étaient attendus en 2020… jusqu’à ce que le virus ne vienne rebattre les cartes.

Ce n’est pas une situation propice pour faire face à une pandémie. Lorsque les autorités considèrent une proportion croissante de la population comme une nuisance dont on peut se passer et que l’on peut contenir en intensifiant constamment le niveau de violence à son encontre, elles ne sont guère incitées à nous maintenir en vie. Certain·e·s, comme Trump, veulent établir des complexes résidentiels protégés et privés basés sur des critères de classe, de nationalité et d’ethnicité et laisser tou·te·s celles et ceux qui ne répondent pas à ces critères en dehors de ces zones, à la merci de ces risques sanitaires nouvellement accrus. D’autres espèrent négocier un nouvel accord entre dirigeant·e·s et gouverné·e·s en offrant un minimum de sécurité à tou·te·s en échange de formes de surveillance et de contrôle sans précédent. Nous aborderons ci-dessous ces deux propositions qui cherchent à savoir comment arriver à stabiliser le pouvoir étatique pour le reste du XXIe siècle.

Si de nombreux·ses militant·e·s radicaux·ales semblent étrangement optimistes quant aux perspectives de changement social, c’est uniquement parce que nos conditions actuelles sont devenues si manifestement intenables – et non parce qu’elles sont particulièrement prometteuses.

À bien des égards, le pire des scénarios est déjà là. Des robots de la police patrouillent déjà dans les rues d’Afrique du Nord tandis que des drones ciblent des villageois·ses en Italie. Viktor Orbán est devenu de facto le dictateur de la Hongrie, et ce au cœur de l’Europe prétendument démocratique. Le gouvernement islamophobe d’Inde a confiné 1,3 milliard de personnes avec un seul décret. Dans le Java oriental, les ordres appelant à rester chez soi ont été utilisés pour disperser les habitant·e·s qui défendaient leur région contre une mine d’or destructrice – mais pas pour arrêter les opérations d’exploitations minières. De la Chine au Pérou, la pandémie a offert un prétexte aux gouvernements pour réprimer les journalistes qui font état de leur mauvaise gestion de la crise sanitaire. Trump a profité de la situation pour intensifier les opérations militaires dans tout l’hémisphère occidental – non pas pour détourner l’attention de sa gestion du virus, comme certain·e·s le supposent bêtement, mais parce que le virus lui offre une occasion irrésistible de faire avancer son programme. En France, le gouvernement Macron a, entre autres, utilisé l’excuse de la pandémie pour faire passer en force des réformes impopulaires, revenir sur certains acquis sociaux et remanier le code du travail selon sa logique productiviste et néo-libérale.

Tunisie : « Si tu veux une image de l’avenir, imagine un robot policier qui t’arrête pour vérifier tes papiers. »

Aux États-Unis, comme en France, le risque d’exposition est explicitement réparti en fonction de la classe sociale. Les livreur·euse·s livrent des provisions aux programmeur·trice·s informatiques qui ne quittent jamais leur maison ou appartement ; les infirmi·er·ère·s chargé·e·s de traiter les patient·e·s présentant des symptômes de COVID-19 apportent des iPhones avec elleux afin que les médecins puissent consulter les patient·e·s via FaceTime sans être elleux-mêmes exposé·e·s au danger.

Confiné·e·s chez nous, nous sommes une base de consommateur·rice·s captif·ive·s dans une ville appartenant et dirigée par Amazon, nous sommes dépendant·e·s des sociétés de télécommunications qui pourraient nous couper les un·e·s des autres en actionnant un simple interrupteur. Les autorités américaines envisagent la possibilité de suivre et de contrôler tous nos déplacements à l’aide de passeports basés sur des données sanitaires. Si un tel programme est mis en place, les autorités pourraient étendre son domaine d’action afin de contrôler la liberté de circulation selon un statut légal, transformant ainsi toute notre société en une véritable prison à ciel ouvert.

Même dans les pays qui ont « aplati la courbe », les mesures d’urgence, y compris la distanciation sociale et l’interdiction des grands rassemblements pourraient bien durer encore un an, temps nécessaire au développement d’un vaccin.

« Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, les États-Unis ont besoin soit de niveaux de distanciation sociale économiquement ruineux, soit d’un état de surveillance numérique d’une taille et d’une portée scandaleuses, soit d’un dispositif de test de masse d’une taille et d’une intrusion encore plus choquantes. »

I’ve read the plans to reopen the economy. They’re scary. », Ezra Klein

Nous devons parler franchement de ce que tout cela signifie pour les mouvements sociaux. Parallèlement au virus, nous vivons l’attaque la plus brutale contre notre liberté depuis au moins une génération. Nombre de nos outils d’autodéfense collective dépendent de la concentration d’un grand nombre d’entre nous, que le virus rend extrêmement dangereuse. Même si une nouvelle révolte sur le modèle du soulèvement au Chili éclate dans le courant de l’année, les responsables de la santé publique considéreront qu’il s’agit d’un risque épidémiologique et demanderont l’instauration d’un nouveau confinement, provoquant une scission dans nos rangs entre celles et ceux qui sont investi·e·s dans la résistance à tout prix et celles et ceux qui considèrent que prendre le risque de propager le virus est irresponsable si bien qu’ils et elles préfèrent une capitulation totale.

Cela pose de sérieux dilemmes. Aux États-Unis, certain·e·s expérimentent de nouvelles formes de manifestations basées sur l’utilisation de la voiture, mais nous devons développer un éventail beaucoup plus large d’options.

S’iels profitent de la pandémie pour consolider leur pouvoir et faire avancer leurs programmes, les autoritaires de tous bords profitent également de cette occasion pour légitimer l’intervention invasive de l’État comme seul moyen efficace de faire face à une crise comme celle du COVID-19. Nous devons démystifier leurs arguments, en présentant des modèles plus convaincants et plus inspirants sur la manière de répondre à cette crise. Même avec toute la technologie et l’asservissement à sa disposition, l’État ne peut pas régner sans une certaine légitimité perçue, sans un certain niveau de consentement du public. En passant définitivement de la carotte au bâton, nos dirigeant·e·s font un pari dangereux.


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Et l’Eternel dit à Moïse : « Tends ta main vers le ciel et qu’il y ait des ténèbres sur l’Egypte, si fortes qu’on puisse les toucher. »


Identifier les problèmes

La pandémie met en avant plusieurs tensions qui déstabilisaient déjà notre société jusqu’au point de rupture. Examinons-les les unes après les autres :

Crise financière

Nombreux·euses sont celles et ceux qui depuis des années ont anticipé une crise financière. Pendant des décennies, la dette a servi à faire tourner l’économie – et à engager des gens dans cet objectif précis. Si les obligations de la dette peuvent être suspendues ou annulées par décision législative, si le capitalisme ne fonctionne que parce que les gouvernements continuent à renflouer les banques et les entreprises aux dépens de tout le monde, alors en théorie, cela devrait remettre tout le système en question. Les manières dont l’économie capitaliste ne répond pas aux besoins de la plupart des gens – en matière de sécurité, de biens matériels, de joie, de solidarité et de sens – sont aujourd’hui mises en évidence. Mais si les exigences de distanciation sociale et les mesures de répression autoritaires empêchent quiconque de démontrer qu’il existe une alternative possible, de nombreuses personnes pourraient réagir en se languissant d’un passé imaginaire incarné par la normalité.

Système de santé

Aux États-Unis, l’accès aux soins a longtemps été un privilège coûteux ; dans de nombreux États, le système de santé Obamacare n’a eu aucune incidence sur la vie des plus pauvres. Il est désormais clair que la santé des pauvres peut avoir un impact sur l’ensemble de la population. En France, cela fait maintenant des décennies que le système de santé public fait les frais des politiques libérales des gouvernements successifs. Cela se traduit par d’importantes coupes budgétaires, un manque de moyen financier, matériel et humain, ainsi qu’une dégradation constante des conditions de soin et de travail.

Il y a deux réponses possibles à cela. La première consiste à ce que notre société oriente les ressources vers la satisfaction des besoins de toute la population en matière de soins et de santé – selon nos propres conditions, et en fonction de nos priorités. L’autre est que l’élite traite les risques sanitaires posés par le reste de la population comme un danger qu’il faut gérer pour assurer la protection des personnes privilégiées.

Logement

Dans le monde entier, la spéculation immobilière et la gentrification avaient déjà déplacé d’innombrables millions de personnes et rendu le logement presque inabordable pour la majorité d’entre nous ; pas étonnant que près d’un tiers des locataires d’appartements aux États-Unis n’ont pas payé de loyer pour le mois d’avril. Celles et ceux qui ne pouvaient se permettre que de vivre dans des boîtes à chaussures urbaines sont maintenant confiné·e·s dans ces boîtes comme dans des cellules ; d’autres sont sans abris en dépit des ordres de « rester chez soi. » La violence domestique et les problèmes de santé mentale ont atteint des proportions épidémiques parallèlement au virus.

Tout cela force la question de savoir qu’est-ce qu’un chez-soi ? S’agit-il d’un bien immobilier avec lequel on peut spéculer, d’un espace d’isolement, d’un minuscule vestige de la féodalité patriarcale (« la maison d’un homme est son château ») ? Ou est-ce autre chose, le sentiment de sécurité créé par la solidarité collective, quelque chose qui pourrait unir les individus et les communautés plutôt que de nous séparer ?

« La maison n’est pas un enclos privé qui nous sépare en minuscules fiefs que l’on peut diviser et conquérir un par un ; c’est la solidarité collective que nous construisons en nous défendant les un·e·s les autres et en intervenant chaque fois que nous voyons un mal être fait. »

Isolement social

La pandémie a littéralement confiné des milliards de personnes chez elleux – pour celles et ceux qui ont un domicile – mais dans de nombreux cas, cela a eu un effet inattendu, ouvrant le foyer comme un espace de socialité, créant de nouvelles formes d’intimité et renforçant les réseaux. Pourtant, cette socialité est presque entièrement virtuelle – et elle dépend d’un très petit nombre de sociétés et de plateformes de télécommunications.

En ce moment, la distanciation sociale exerce une telle pression sur les gens que beaucoup d’entre nous ressentent une urgence désespérée de se rassembler en grand nombre, de serrer nos ami·e·s dans nos bras et de côtoyer des inconnu·e·s. La valeur des espaces publics et de la socialité n’a jamais été aussi claire. Si cette pression continue à s’intensifier, elle pourrait avoir des effets perturbateurs ou libérateurs.

Mais si la distanciation sociale se poursuit sous des formes variées pendant un an ou plus, les gens s’y habitueront-ils, en venant à considérer les foules avec crainte, en développant une agoraphobie et de nouvelles angoisses sociales ? Serons-nous devenu·e·s tellement habitué·e·s à mener nos relations dans des milieux virtuels qu’après, nous continuerons à le faire alors même que nous pourrions être ensemble en personne ? Le pouvoir que les algorithmes des entreprises comme Facebook ont de façonner le dialogue en ligne influencera-t-il ce qu’il est possible d’imaginer encore plus que ce qu’il n’a déjà fait ?

Écologie

La réduction des dommages écologiques pendant la période de confinement en Chine a fait la une du monde entier. Jusqu’à présent, tout le monde considérait la catastrophe écologique en cours comme quelque chose qui échappait à notre contrôle. Il est maintenant clair que – si nous le voulons – nous pouvons y mettre un terme. Ni la démocratie ni les gouvernements autoritaires n’ont pu établir de priorités à cet égard. Mais si un virus peut stopper la destruction écologique, alors un mouvement social ingouvernable peut aussi le faire.

Totalitarisme

Avant la crise sanitaire, la répression aux frontières, la surveillance de l’État, l’autoritarisme et la violence de l’État policier s’intensifiaient déjà rapidement. Les autorités jouent un jeu risqué de quitte ou double. En ce moment, elles ont une justification puissante pour s’emparer du pouvoir – mais si elles vont trop loin, toute la pression qui s’est accumulée pourrait exploser.

La libération des prisonnier·ère·s souligne qu’ils et elles n’avaient pas à être là au départ. La police s’est présentée comme empêchant le virus de se propager, mais selon cette logique, il serait plus sûr de les virer également des rues. C’est le comble de la bêtise que d’imaginer que le virus est un adversaire qui peut être combattu par des moyens militaires dans une « guerre », pour reprendre la rhétorique de Trump ou de Macron ; comme l’hydre, chaque coup que les forces armées lui asséneront ne fera que le rendre plus fort.

La question reste de savoir si cela sera également vrai pour notre résistance.

Restez chez vous – si vous avez un logement. Un avertissement au Cap, Afrique du Sud.


Trois programmes

En analysant les possibilités disponibles pour pouvoir répondre à la pandémie, nous pouvons simplifier les options proposées en trois camps concurrents : les adeptes de la mort, les apôtres de la survie et les partisans de la vie

Les adeptes du capitalisme – c’est-à-dire, de la mort

Il n’a jamais été aussi évident que la « vie » pour le marché financier représente pour nous la mort. Donald Trump et les autres barons du meurtre qui nous ont poussé à reprendre le travail pour leurs précieux diagrammes à barres l’ont bien fait comprendre. Le capitalisme a toujours été un culte de la mort. Nous vendons les moments irremplaçables de notre vie pour des salaires – nous réduisons les forêts en sciure, l’air pur en smog, l’eau en poison – car la concurrence du marché basée sur le profit enrichit les riches et appauvrit le reste d’entre nous. À ce rythme, nous allons bientôt rejoindre les innombrables espèces que nous avons déjà poussées à l’extinction.

Il ne s’agit pas seulement de savoir si Trump ou Macron nous demandera de reprendre le travail avant que les scientifiques ne lui en donnent la permission. En ce moment, partout où les travailleur·euse·s sont contraint·e·s de risquer une exposition au COVID-19 pour payer leur loyer, le marché est déjà prioritaire sur la vie humaine, comme c’était le cas avant la pandémie.

« S’il te plaît, Dieu, tue nous tou·te·s s’il le faut, mais fais en sorte que la ligne se relève. »

Tout en minimisant les risques d’un retour au travail, les nationalistes comme Trump et Matteo Salvini ont utilisé la pandémie pour faire avancer leur programme de fermeture des frontières, insinuant que les migrants chinois, africains et latino-américains sont responsables de sa propagation. En fait, il semble que le virus soit arrivé à New York en provenance d’Europe ; les principaux vecteurs de sa propagation sont probablement les personnes appartenant à la classe du secteur des affaires internationales, les politicien·ne·s et les policier·ère·s, l’un des seuls groupes autorisés à se rassembler et à circuler librement sans équipement de protection adéquat.

Que le coronavirus se répande ou non de cette manière, ces groupes d’individus sont les vecteurs du virus du contrôle – ce qui rend le coronavirus si dangereux. Si ce n’est pour la police, les caméras, les tribunaux et les prisons, nous aurions depuis longtemps aboli le système politique et économique qui crée de si grandes disparités de richesse et de pouvoir. Sans ces disparités, nous ne serions pas obligé·e·s de continuer à nous présenter au travail même si cela signifie que nous nous exposons à un risque statistiquement significatif de se faire tuer en plus de toutes les humiliations habituelles liées au travail salarié. La répartition inégale des ressources et du pouvoir augmente les risques auxquels les pauvres sont confronté·e·s, mais elle augmente également la probabilité que les pauvres, les sans-abris et les travailleur·euse·s soient contraint·e·s de faire des choses qui continuent à propager le virus.

S’il est ironique que le « libertarien » Rand Paul ait été le premier sénateur à être testé positif au coronavirus – et beaucoup espéraient que le virus le punirait une fois pour toutes pour son orgueil – son infection, comme celle de tant de policier·ère·s de New York, est une parfaite métaphore du risque qu’ils et elles nous font courir. Il n’y a jamais eu de réel danger que Rand Paul ou Boris Johnson soient obligés de se passer d’assistance respiratoire. Leur insouciance, leur violence et leurs profits sont les vecteurs par lesquels le virus expose le reste d’entre nous à un péril mortel. Le COVID-19 n’est pas un ange vengeur qui se chargera d’exécuter la vengeance du peuple.

Il est facile d’être critique quand les contribuables bourgeois·ses qui ont payé sans réfléchir les missiles guidés pour massacrer des gens en Irak et en Afghanistan paniquent à cause du coronavirus. Mais ne soyons pas cavalier·ère·s face à la mort. Tout mépris que nous exprimons à propos de la pandémie servira en fin de compte les employeurs qui cherchent à minimiser les risques pour les travailleur·euse·s et les politicien·ne·s qui préféreraient nous laisser mourir.2

Oui, les maladies cardiaques et le cancer tueront plus de gens que le coronavirus cette année ; il en va de même pour les complications liées au virus du sida. Peu de gens ont pensé dernièrement aux millions de personnes tuées ou déplacées par les conflits mondiaux, même si les réfugié·e·s seront parmi les plus touché·e·s par le virus. La plupart des gens sont devenu·e·s insensibles aux conséquences liées à notre mode de vie, y compris le meurtre-suicide continu de toute la biosphère à cause du changement climatique provoqué par l’industrie ; dans ce contexte, l’intérêt général porté au coronavirus est perçu comme myope. Mais plutôt que de nous habituer à une nouvelle menace, nous devrions étendre la préoccupation que beaucoup de personnes ont envers l’épidémie de coronavirus à toutes les autres tragédies auxquelles tout le monde s’est tellement habitué.

Chaque mort causée par la répartition inégale des ressources de notre société est une tragédie incommensurable. Nous devons réagir à chacune d’entre elles comme l’ont fait les habitants de Ferguson, dans le Missouri suite au meurtre de Michael Brown. Alors que les capitalistes vont certainement tenter d’exploiter les distinctions entre les « travailleur·euse·s essentiel·le·s », les nouveaux·elles chômeur·euse·s et celles et ceux qui étaient déjà précaires ou exclu·e·s pour nous monter les un·e·s contre les autres, nous devons créer des liens de solidarité significatifs entre celles et ceux qui sont menacé·e·s par leur emploi et celles et ceux qui sont menacé·e·s par le chômage, entre celles et ceux qui ne peuvent pas payer leur loyer, celles et ceux qui luttent pour payer leur hypothèque et celles et ceux qui étaient sans abris bien avant la crise. Chacun et chacune d’entre nous est indispensable.

Une manifestation à Berlin, mars 2020.


Les apôtres de la technocratie – c’est-à-dire, de la survie

« Bien que les États-Unis soient lents à agir au début, une fois qu’ils seront au point, ils pourront probablement égaler les capacités de la plupart des gouvernements autoritaires, y compris celui de la Chine. »

-The Thing That Determines a Country’s Resistance to the Coronavirus, Francis Fukuyama

Les démagogues comme Trump doivent rivaliser avec les centristes comme le Parti démocrate qui visent à préserver les mêmes structures hiérarchiques, mais proposent de les faire fonctionner de manière plus sage et plus efficace. Du New York Times aux admirateur·trice·s occidentaux·ales du Parti communiste chinois, de nombreux expert·e·s ont cherché à se distinguer de la réaction ignorante et négligente de Trump face au virus en demandant des mesures plus strictes. Ils et elles sont les plus ardent·e·s défenseur·euse·s des mesures de surveillance invasives décrites ci-dessus. En retour, ils et elles offrent une meilleure chance de survie à celles et ceux que Trump enverrait à la mort.

En effet, cette pandémie ne souligne-t-elle pas que nous avons besoin de plus de centralisation, de plus de surveillance, d’un gouvernement « plus fort » ?

En fait, chaque forme de gouvernement – de la Chine à l’Iran en passant par les Etats-Unis et la France, ont dissimulé des informations sur la pandémie et ont tardé à y répondre, ce qui a aggravé le risque pour tou·te·s. En Iran, la justification était de maintenir le calme de la population à l’approche d’une élection ; aux États-Unis, il s’agissait de maintenir le plus longtemps possible le bon fonctionnement du marché boursier. Le problème n’est pas que les autorités n’avaient pas suffisamment de contrôle ; le problème est la centralisation du pouvoir elle-même. Chaque fois que le pouvoir est concentré entre les mains de quelques-un·e·s, qu’il s’agisse d’une junte militaire, de fonctionnaires du parti ou d’élu·e·s, celleux-ci vont inévitablement faire passer leurs propres intérêts avant ceux des autres. Chaque parti aspirant au pouvoir nous dit que leur manière de gouverner serait meilleure que celle des autres, ou qu’ils ou elles pourraient faire plus de bien si ils ou elles avaient plus de pouvoir, mais nous devrions savoir qu’il ne faut pas se fier à de telles promesses.

Francis Fukuyama a fait valoir que le fait que les gens fassent confiance à leurs dirigeant·e·s est le facteur le plus décisif pour déterminer l’efficacité des réponses gouvernementales à la pandémie :

« Ce qui compte en fin de compte, ce n’est pas le type de régime, mais le fait que les citoyen·ne·s fassent confiance à leurs dirigeant·e·s, et que ces dirigeant·e·s président un État compétent et efficace. »

C’est manquer la cible d’une manière évidente et fallacieuse : que se passe-t-il lorsqu’il y a une confiance généralisée dans un gouvernement « compétent et efficace » qui ne fait pas ce qui est dans le meilleur intérêt de sa population ?

Pour les anarchistes, la réponse à ce problème est assez claire. La seule chose qui peut nous protéger est de mettre en place des moyens horizontaux de transmission de l’information, que les autorités le souhaitent ou non – afin de contourner la censure de l’État qui a retardé la prise de conscience du public sur l’épidémie de COVID-19 en Chine, par exemple – et d’être capables de mettre en œuvre nos propres mesures autonomes et participatives de survie, d’entraide et d’autodéfense collective. Si nous dépendons des gouvernements existants pour résoudre tous nos problèmes, nous nous limiterons à approuver leurs politiques dangereuses et intéressées tout en plaçant nos espoirs dans des efforts insatisfaisants pour obtenir des changements par des moyens électoraux, comme dans la campagne de Bernie Sanders aux États-Unis.

L’alternative à l’adoption de solutions technocratiques hiérarchiques et verticales n’est pas de célébrer la liberté individuelle sur une base isolée. Il s’agit plutôt d’investir notre énergie pour devenir plus capables de partager des informations et de coordonner les activités au niveau international, comme les anarchistes l’ont toujours préconisé. La coordination et la centralisation sont deux choses différentes.

Comme d’autres l’ont fait valoir, la grande majorité du mérite des mesures qui ont retardé la propagation de COVID-19 devrait revenir aux gens ordinaires qui se sont volontairement engagé·e·s dans la distanciation sociale et dans d’autres pratiques responsables, et non aux gouvernements. Une activité volontaire et auto-organisée, menée par l’éthique plutôt que par la coercition, donnera toujours les meilleurs résultats. Si les ressources et les connaissances sont distribuées de manière suffisamment large et régulière, les gens sont beaucoup plus capables d’évaluer, de hiérarchiser et de traiter les risques qu’ils et elles courent et posent aux autres que ne pourrait le faire un organe décisionnel centralisé.

En résumé, la seule façon de s’assurer que les systèmes politiques en place répondront réellement à nos besoins est d’être capable de les réviser ou de les renverser facilement lorsqu’ils nous font défaut. Un contrôle plus centralisé ne fera que rendre la tâche plus difficile.

Cela nous amène à une question connexe qui sera particulièrement importante dans les années qui suivront la fin de la pandémie. Ne vaudrait-il pas la peine de renoncer à nos libertés individuelles si nous pouvions obtenir un peu plus de sécurité et de sûreté en retour ? Nous verrons probablement des démagogues du centre nous proposer ce pacte avec le diable.

Sans la liberté de s’organiser et de se défendre selon nos propres conditions, en dehors et contre l’ordre établi, nous ne pourrons pas défendre les gains que nous y réaliserons. Même si notre seule préoccupation était d’assurer notre survie dans les conditions matérielles les plus élémentaires, renoncer ne serait-ce qu’un peu à notre liberté ne nous aiderait jamais à atteindre cet objectif.

Le secret des centristes et des technocrates est qu’ils et elles ne nous offrent pas une véritable alternative aux autocrates. Leurs programmes servent toujours à renforcer l’appareil d’État que les autocrates emploient ensuite contre nous. Trump a hérité de tout le pouvoir qu’Obama a concentré dans le bureau exécutif. En fin de compte, l’autocratie brutale ou la technocratie efficace est un faux choix.

Concluons par un mot sur l’expertise dans les sciences. Jusqu’à présent, les scientifiques du secteur médical sont peut-être le seul groupe d’autorités qui a traversé cette catastrophe sans encombre. Mais l’industrie médicale elle-même n’a jamais agi dans le meilleur intérêt de l’ensemble de l’humanité. Idéalement, le développement des connaissances scientifiques devrait être une entreprise collective impliquant l’ensemble de l’espèce humaine, et non un domaine dans lequel des expert·e·s accrédité·e·s dictent la Vérité à tou·te·s les autres. Le capitalisme et les systèmes d’autorité institutionnalisés interfèrent depuis longtemps avec le développement participatif des connaissances, en contrôlant l’accès au processus par le biais des droits de propriété intellectuelle, des monopoles institutionnels sur l’information et en déterminant qui a accès au financement. La motivation de profit que le marché impose aux chercheur·euse·s corrompt leurs priorités et interfère dans le processus lui-même – par exemple, les employé·e·s des études médicales qui se louent comme rats de laboratoire pour payer leur loyer n’ont pas plus d’incitation à répondre honnêtement aux questions que les sociétés de tests médicaux qui cherchent à faire du profit.

Cette pandémie a illustré la valeur des approches de collaboration internationale par rapport aux modèles axés sur le marché ; pratiquement tout le monde espère que les scientifiques coopéreront au-delà des frontières institutionnelles et nationales pour produire un vaccin. Comme dans tous les aspects de notre vie, nous avons besoin de plus d’autonomie, de plus de communication et de coordination horizontale, et non de plus de hiérarchie. L’establishment médical existant n’est pas plus apte à nous gouverner que les institutions politiques dominantes.


twitter.com/th1an1/status/1248355378091474944

Les partisans de la liberté – c’est-à-dire, de la vie

« Dans une pandémie qui a privé la vie de ses usages sociaux, la vie semble menacer totalement la société. »

-The Pandemic Community, Nil Mata Reyes

La survie est essentielle à la vie, mais ce n’est pas tout. Elle est nécessaire mais pas suffisante.

Il est assez simple de parler de survie ; nous pouvons la définir avec la terminologie médicale. Parler de vie, en revanche, est intrinsèquement partisan. Quand on dit vie, on parle toujours d’un mode de vie particulier, d’un ensemble particulier de relations, d’affects et de valeurs. Celles et ceux qui se réfèrent à la « vie » comme si ce qu’ils et elles entendent par ce mot allait de soi ont toujours une sorte de programme dans leur sac.

Lorsque nos dirigeant·e·s tentent d’axer la discussion sur la manière d’assurer notre survie, nous devrions changer de sujet pour savoir quel type de vie nous voulons mener dans le monde post-pandémique. Il existe peut-être des modèles autoritaires qui peuvent effectivement assurer notre survie, mais aucun ne peut nous offrir le genre de vie que nous souhaitons. Si nous ne faisons que marchander avec nos dirigeant·e·s sur les emplois, les salaires et les soins de santé essentiels à notre survie, nous en sortirons, au mieux, avec un logement garanti dans des unités de quarantaine identiques, des bracelets d’identité numérique codés avec des données biologiques et des abonnements Netflix à vie pour émousser nos sens et nous distraire des vies qui feront passer Le Meilleur des mondes pour Sur la route. C’est tout ce que les technocrates ont à offrir. Nous devons rêver plus grand.

Parler de liberté est presque un anathème en ces temps d’épidémie. La liberté est associée au genre de bouffons réactionnaires qui prétendent toujours que le virus lui-même est une sorte de conspiration. Pourtant, comme on l’a vu plus haut, sans liberté, nous ne pourrons pas gagner ou défendre les gains que nous pourrions faire concernant la qualité de notre vie. Celles et ceux qui détiennent le pouvoir ne nous accorderont jamais l’autodétermination selon nos propres conditions – et sans cela, nous sommes à leur merci. Nous devons changer l’équilibre des pouvoirs.

Aujourd’hui, ayant déjà été dépouillé·e·s de presque tout ce qui donne un sens à la vie, beaucoup de gens ont l’impression de n’avoir plus rien à quoi s’accrocher, si ce n’est la survie au sens biologique le plus strict. C’est pourquoi ils et elles sont prêt·e·s à envisager à renoncer à encore plus de choses. Mais si cette crise remet vraiment tout en question, battons-nous pour ce que nous voulons vraiment.

Des projets d’entraide et des grèves sauvages, aux grèves des loyers et aux révoltes dans les prisons, il y a déjà d’audacieux mouvements de résistance partout dans le monde. Ces efforts doivent donner naissance à des réseaux capables d’affronter le nouveau totalitarisme et de le vaincre. Les enjeux n’ont jamais été aussi importants.

Poursuivre la vie plutôt que la survie signifie se passer de garanties. Celles et ceux qui souhaitent vivre pleinement doivent parfois risquer leur vie. Plus encore que la sécurité, c’est le sens que nous donnons à nos vies qui est en jeu ici.

Que veux-tu ? Un test et un traitement gratuits pour le COVID-19 et tout autre problème médical ? Pouvoir utiliser les machines de l’usine de ton employeur pour produire des respirateurs plutôt que des voitures ? Être libre d’utiliser les installations médicales de ton travail d’infirmier·ère pour soigner tes ami·e·s et tes voisin·e·s qui n’ont jamais pu s’offrir un traitement médical approprié ? D’avoir la possibilité d’utiliser tes compétences, tes ressources et ta créativité au profit de tou·te·s, plutôt que de suivre les lois du marché ? D’abolir les pressions économiques qui obligent les gens à prendre le risque de propager le virus et de contribuer au changement climatique mondial ? De pouvoir voyager dans d’autres pays sans gentrifier les quartiers des villes que tu visites ? De pouvoir se rassembler librement en créant des foules festives sans craindre les pandémies ou la police ? De se serrer mutuellement dans les bras, de s’épanouir ?

Réponds toi-même à ces questions, cher·ère lecteur·rice, et trouvons une cause commune sur la base de nos rêves les plus fous. Nous te rejoindrons dans les rues à la fin de ce cauchemar – déterminé·e·s à mettre fin à tous les cauchemars.


« Nous savions ce que nous voulions depuis tout ce temps, nous pensions juste que c’était impossible. Ce n’est pas le cas. Non seulement c’est possible, mais c’est notre seul passage sûr vers l’avenir. »

How to Fall »


Lectures complémentaires


Graffiti au Chili : « Ils disent de se laver les mains… mais le capitalisme a volé toute l’eau et a amassé tout le gel hydro-alcoolique. »

  1. Ces « traités de paix » comprenaient le socialisme d’État autoritaire au sein du bloc de l’Est, une combinaison du compromis fordiste et des filets de sécurité sociaux-démocrates aux États-Unis et en Europe, et la promesse d’un développement économique dans les pays du Sud. 

  2. Dans Crowds and Power, Elias Canetti suggère que l’une des motivations fondamentales des êtres humains est le désir de survivre à leurs pairs. À première vue, c’est une proposition étrange ; pourtant, aux États-Unis, où les relations sociales ont toujours été basées sur une concurrence féroce, les gens voient souvent le malheur des autres comme un gain net pour elleux-mêmes. C’est une façon de comprendre une partie de la bravade bon marché avec laquelle les jeunes ont envisagé la perspective d’une pandémie qui touche particulièrement les personnes âgées et les infirmes.