Pour comprendre l’usage des lois RICO contre le mouvement pour la défense de la forêt d’Atlanta

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Des poursuites massives cherchent à criminaliser toute contestation

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Depuis début 2023, le parquet de l’État de Géorgie menaçait de mettre en examen les militant-es opposé-es à la construction de la « Cop City » [littéralement : la Ville des keufs], un centre d’entraînement et de militarisation de la police, pour avoir supposément enfreint les Lois sur les organisations motivées par le racket et la corruption (le RICO Act). La semaine dernière [fin août 2023], Chris Carr, le Procureur général de Géorgie, a utilisé ces lois pour inculper 61 personnes dans le comté de Fulton.

En mettant dans le même panier sans aucune distinction des dizaines d’interpellé-es dont une grande partie ne s’est apparemment jamais rencontrée afin de fabriquer une affaire d’association de malfaiteurs, les autorités en charge des poursuites cherchent à criminaliser le mouvement de contestation lui-même. Cette affaire illustre la répression politique qui cherche à étouffer l’activisme et la contestation sous toutes ses formes dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de Vladimir Poutine. Elle devrait préoccuper tout-te-s celleux qui se préoccupent des libertés civiles, comme celle de manifester, de militer contre les violences policières et l’autoritarisme ou encore pour la défense de l’environnement.

La mise en examen n’a pas l’air d’indiquer que le parquet avait en sa possession des informations inédites concernant l’existence d’une entreprise criminelle dans le sens où ce mot est généralement employé. Au lieu de ça, il a opposé de nouveaux chefs d’inculpation aux personnes dont il avait déjà les noms suite à des interpellations passées et cherchent maladroitement à l’heure actuelle de les faire passer pour un groupe criminel cohésif.

Parmi les inculpé-es, 42 personnes avaient déjà été accusé-es de « terrorisme » pour avoir supposément participé au mouvement #StopCopCity, pour beaucoup d’entre elleux sur la base des actions aussi anodines que le fait de rentrer dans la forêt ou faire des publications sur les réseaux sociaux. Trois autres avaient eu des poursuites pénales pour avoir distribué des prospectus. Et encore trois autres avaient été accusé-es en mai dernier de « blanchiment d’argent » et d’autres crimes pour avoir organisé le soutien juridique aux militant-es. Aucune de ces anciennes affaires n’a encore abouti en une seule condamnation.

La seule chose qui lie tou-te-s les accusé-es, c’est qu’iels semblent tou-te-s avoir été arrêté-es par le passé, parfois totalement par hasard, sur la seule suspicion de s’opposer au projet étatique de détruire la Forêt de Weelaunee.


Le Conte de deux affaires RICO

Même si l’inculpation a eu lieu dans le comté de Fulton, c’est le Procureur générale de l’État de Géorgie qui est en charge des poursuites. Cela semble indiquer qu’il y aurait des divergences parmi les autorités, mais on ferait mieux de se demander à quel point celles-ci peuvent réellement être profondes.

Le procureur du comté de Dekalb, membre du Parti démocrate, s’était déjà retiré de toutes les affaires liées au centre d’entraînement policier en juin dernier, prétextant les divergences irréconciliables avec le Procureur général, qui fait partie des républicains. Le juge assigné à cette nouvelle affaire RICO s’en est lui aussi immédiatement dessaisi. Jusque là, aucun juge ne s’était récusé des affaires liées au mouvement pour mettre fin à la Cop City, même quand ils avaient des liens explicites avec le projet de construction du centre de militarisation de la police.

Dans le comté de Fulton rivalisent désormais deux affaires RICO : la première visant Donald Trump, poursuivi par le procureur de district de cette commune, et la deuxième qui vise les personnes s’opposant à la construction du centre d’entraînement policier, menée par le Procureur général de l’État.

Il reste à voir s’il y a un conflit important entre les procureurs locaux du Parti démocrate et ceux de l’État de Géorgie qui sont des républicains. Les républicains auraient sans doute lancé ces poursuites, même si Fani Williams, procureure du district de Fulton County, n’avait pas mis en examen Donald Trump et ses sbires, mais maintenant ils vont pouvoir s’appuyer sur les poursuites visant Trump pour rallier leur base en soutien à l’accusation lancée contre les militant-es écologistes. Pour de nombreux-ses électeur-ices démocrates, le recours aux lois RICO contre Trump servira seulement à légitimer le système judiciaire dans son ensemble et les mises en examen liées à ces lois plus particulièrement, même lorsque les deux servent principalement contre les communautés opprimées et les mouvements contestataires. Le fait que les républicains poussent cette affaire au niveau de l’État offre aux politiciens démocrates la possibilité du déni plausible pour pouvoir continuer à remporter les élections, leurs électeur-ices désapprouvant de la criminalisation de la contestation. En ce qui les concerne, la plupart des politiciens démocrates dépendent tout autant de la police que les républicains. Ils tout aussi enthousiastes de voir la Cop City se construire et les mouvements d’opposition être rendus inefficaces.

Même si les deux affaires RICO représentent deux factions rivales de classe politique, les mêmes grands jurés qui avaient mis en examen Donald Trump sont responsables d’inculper celleux qui sont accusé-es de « racket » pour avoir protesté contre la Cop City. Le système judiciaire est une infrastructure centrale servant à canaliser la violence étatique. Alors que les démocrates naïfs peuvent présenter la justice comme un frein aux aspirations des autocrates, celle-ci s’adapte naturellement à toute forme de répression ciblant les opprimé-es, et c’est bien là son rôle principal.

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La criminalisation des idées

Comme on a pu le voir en mai dernier, ce n’est pas la première fois que les grandes entreprises et la police se servent des lois RICO de manière arbitraire afin d’intimider celleux qui s’opposent à l’accaparement du pouvoir par elles. Par exemple, de 2016 à 2019, l’entreprise responsable de l’oléoduc Dakota Access s’est appuyée dessus pour poursuivre en justice l’ONG modérée Greenpeace. Tous ces chefs d’accusation ont fini par être abandonnés, mais ces poursuites servent à intimider et à immobiliser leurs cibles, elles représentent ainsi un effort continu de la part des corporations et de la police de mieux subordonner le système judiciaire à leur propre programme.

Lors d’une conférence de presse annonçant les poursuites, le procureur a affirmé que le droit de Géorgie était écrit de telle manière qu’il n’était pas nécessaire pour les participant-es à une entreprise criminelle de se connaître pour que l’accusation reste applicable : tout ce qui est nécessaire, c’est que ces personnes travaillent dans le même but. L’« entreprise criminelle » est définiede manière si floue que cela crée un terrain pour accuser n’importe qui ayant participé à un mouvement social dans ces dix dernières années d’avoir enfreint les lois RICO.

Dans le dossier de mise en examen, le parquet souligne que les accusé-es sont poursuivi-es simplement pour s’être opposé-es à la construction d’un centre de militarisation de la police :

Defend the Atlanta Forest [le nom du mouvement pour défendre la forêt de Weelauney à Atlanta] ne recrute pas depuis un seul endroit ; les membres de Defend the Atlanta Forest n’ont pas non plus une histoire de travail commun en tant que groupe localisé. Néanmoins, ce groupe partage une opposition commune à la construction du Centre d’entraînement du Département de police d’Atlanta, aux entreprises de construction associées au projet, ainsi qu’aux entreprises propriétaires des chantiers qui entourent la forêt.

« Trois idéologies principales constituent le mouvement Defend the Atlanta Forest, » poursuit le texte, une « idéologie anti-forces de l’ordre, » « la protection de l’environnement à tout prix, » et « une idéologie anarchiste. » Ici se fait le procès des idées.

Sans citer aucune source, l’accusation attribue les affirmations les plus rocambolesques à « l’organisation » dans son ensemble, par exemple : « Tortuguita [militant-e assassiné-e par les policiers lors d’un raid du camp dans la forêt d’Atlanta le 18 janvier 2023] a trouvé la mort en cherchant à tuer un flic en défense de la forêt de Weelaunee. » Cette phrase contredit explicitement le récit du meurtre de Tortuguita qui prévaut au sein de nombreux mouvements qui cherchent à préserver la forêt.

Assez rapidement le dossier d’accusation, dédie cinq pages entières spécifiquement aux trois accusé-es à qui on reproche l’association avec le Fond de solidarité d’Atlanta. Leurs noms réapparaissent encore et encore au fil des pages du dossier. En plus de criminaliser l’« anarchisme », l’opposition à la police et la préoccupation pour l’environnement dont chacun-e d’entre nous dépend pour sa survie, un autre objectif central de l’accusation consiste clairement à créer un précédent pour criminaliser le soutien juridique aux personnes arrêtées dans le cadre des actions contestataires.

De même, l’accusation présente le fait de « distribuer des flyers, » d’« occuper une cabane dans les arbres, » ou d’être présent-e dans la forêt « avec du camouflage, du matériel de camping et des vivres » comme des actes pouvant constituer une entreprise criminelle.

Dans le dossier se retrouve répétée une affirmation déjà démentie par le passé concernant le caractère supposément « terroriste » du mouvement pour la défense de la forêt de Weelaunee :

Le Département de la Sécurité intérieure (le DHS) des Etats-Unis a classifié ces individus comme étant des prétendus Extrémistes Domestiques Violents.

En réalité, selon le DHS lui-même,

Le Département de la Sécurité intérieure ne classifie ni ne désigne aucun groupe comme des extrémistes domestiques violents.

Afin de justifier l’appellation de « terroriste », le dossier d’accusation cite une note du DHS, mais cette note réitère simplement les propos du parquet de Géorgie, d’après lesquels les accusé-es seraient des « extrémistes domestiques violents », tout en y rajoutant le qualificatif « prétendus » pour remettre en question cette affirmation. Le parquet de Géorgie cherche à répéter un mensonge jusqu’à ce que celui-ci devienne la vérité.

En 2020, le DHS était l’une des institutions fédérales sur lesquelles s’est appuyé Donald Trump dans sa tentative de maîtriser les manifestations, notamment à Portland dans l’État d’Oregon. Cette organisation ne court pas la réputation d’hésiter à soutenir la répression. Le fait qu’il y ait une tension apparente entre comment le parquet de Géorgie le DHS et les communiqués du DHS lui-même montre seulement à quel point les procureurs de Géorgie sont prêts à prendre des risques.

Il y a une troisième affaire RICO connue à Atlanta : il s’agit de la mise en examen de[s rappeurs] Young Thug, Gunna et Young Slime Life, qui considère des paroles de chansons, des publications sur les réseaux sociaux et des articles de vêtements comme preuves du racket criminel. Dans ces deux cas, le parquet interprète les statuts RICO de l’État de Géorgie de manière aussi large que possible pour justifier de faire passer ces personnes pour des co-conspirateurs sur la base d’un récit entièrement fabriqué concernant leurs idées et leur identité.

Pour reprendre la formulation tortueuse de l’accusation, « les anarchistes violents cherchent à faire passer le gouvernement pour des oppressionnistes violents [sic]. » En s’appuyant sur ces chefs d’inculpation, l’État de Géorgie montre son dévouement sans faille à l’oppression, en commençant par n’importe qui est suspecté de s’exprimer contre leur violence.

C’est loin d’être probable que cette affaire RICO va réussir. Mais si elle le fait, elle aura des répercussions massives sur d’autres mouvements sociaux aux États-Unis. Qu’elle réussisse ou non, elle marquera un nouveau point bas dans l’usage du harcèlement judiciaire ciblant l’opposition. Tou-te-s celleux qui ne souhaitent pas se retrouver dans un État totalitaire devra mettre son poids derrière la campagne de soutien aux inculpé-es et résister à cette tentative de poser un nouveau précédent juridique à la répression étatique.

Vous pouvez faire un don ici pour soutenir les inculpé-es de cette affaire.

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